Dieu fit les prospecteurs égaux.
C’est le Déus qui plus tard a fait les différences.
Le chemin suivait la ligne de crête, il avait été tracé sur le substrat rocheux et la rosée du matin faisait briller les pierres. Axel remarqua tout à coup des traces de sang qui traversaient le sentier en diagonale, et en regardant sur sa droite, sous les saponaires en fleurs, il vit un gros lièvre couché sur le flanc. Il lui manquait la tête. Elle avait été soigneusement découpée. Le sang n’était même pas sec, un renard venait de le trainer là et avait été dérangé par l’arrivée d’Axel. Il devait être tapi à quelques mètres sous les prunelliers et surveiller son casse-croute. C’était un beau lièvre adulte, bien gros, il allait faire le régal de quelque portée de renardeaux car c’était la saison des naissances.
Axel profita de la halte pour sortir le détecteur et le piochon du sac à dos, et commença à prospecter le chemin. C’était la première fois qu’il venait là. Il savait par des amis qui venaient souvent randonner dans le coin, qu’il y avait sur ces collines quelques orris et des murets d’épierrements qui délimitaient sous les ronces des parcelles anciennement cultivées. Il eut tout de suite un son très franc : une grosse cartouche de carabine, un peu bosselée, marquée w w super 300 Win Mag. C’était là un bien gros calibre, plus pour le cerf que le chevreuil ou le sanglier. L’amorce était en acier blanc, elle tranchait sur le laiton de la douille : le chasseur l’avait lui-même rechargée avec une amorce qui n’était pas celle d’origine. Il reprit la marche tout en continuant à balayer, ramassant deux fers à bœufs, une belle clochette de chèvre ou de mouton, quelques culots de cartouches de douze, en cuivre, une curieuse tige, pliée, en bronze, portant un décor rectiligne de points ronds, puis un dé à coudre… Il arriva ainsi sur le sommet de la colline. Il y avait un bouquet de frênes sur la gauche, devant un amoncellement de pierres blanches, restes de quelque construction ou tas d’épierrement, et une haie de buis le long du chemin. Des deux côtés, des prairies clôturées par un triple fil de barbelés sur d’énormes piquets d’acacia. Un troupeau d’une vingtaine de vaches grises, des gasconnes, certaines avec leur veau, étaient groupées dans le champ du fond, autour d’une citerne-abreuvoir métallique. La vue sur le moutonnement des collines environnantes était splendide. De loin en loin, un petit village, des toits rouges, un clocher-mur crépi de gris. Axel reprit son balayage du chemin. Il vit tout de suite qu’il était inutile d’aller sur les prairies : l’herbe y était encore beaucoup trop haute pour pouvoir prospecter. Il ne tarda pas à recreuser : un petit bouton militaire marqué 102, des éléments de boucles, des clous de chaussure ou de fer à bœuf, un anneau de cuivre, un plomb de sac, une médaille religieuse, un gros bouton de cuivre au décor de bossettes. Et bien sûr, toujours des douilles de chasse, deux ou trois fers à bœuf, des anneaux de lacets en cuivre et des papiers d’alu (merci les randonneurs !) et … un petit robinet en aluminium ou en maillechort, probablement d’une sulfateuse : il devait donc y avoir eu des vignes sur ce plateau. Un son de ferreux ne lui parut pas très « franc » (réglage GMP, discri 5, volume fer 3) : il s’attendait à un fer à bœuf, mais déterra un morceau d’éperon en fer, couvert de rouille, et en repassant le disque sur le trou, nouveau son : c’était la molette en étoile à six pointes, elle aussi bien sûr toute rouillée, et qui avait dû se détacher de la tige depuis bien longtemps car il n’y avait plus aucune trace d’attache. Puis il trouva un double tournois, presque lisse, comme la grande majorité de ceux trouvés dans les champs : on voyait juste deux fleurs de lys et la date, encore bien lisible : 1635.
Il était arrivé ainsi presque au bout du plateau. Le chemin commençait à remonter vers d’autres collines, plus hautes, mais plus raides et sur lesquelles la friche s’installait : buis, églantiers, ronces, quelques chênes commençaient à couvrir les pentes. Axel décida de revenir à l’entrée du plateau, autour du bouquet de frênes et des tas de pierres. S’il y avait eu habitat, ce devait être par là. Il éteignit sa machine, reprit le chemin, passa devant les bêtes qui ne lui accordèrent aucune attention, constata qu’il avait correctement rebouché ses trous sur le chemin et arriva devant la rangée de buis et les frênes. Il se débarrassa du sac à dos en l’accrochant à une branche, en sortit un casse-croute et une bouteille d’eau, alla s’asseoir sur une grosse pierre plate et prit son repas tout en observant le paysage et en imaginant les lieux quelques siècles en arrière… Il termina par une barre de chocolat, remit la bouteille dans le sac, prit le détecteur et le piochon et se glissa sous le dernier rang de barbelés pour entrer dans le champ. Il s’attendait à trouver autant d’herbes hautes que dans les autres champs mais fut vite rassuré : non seulement l’herbe était rase sous l’ombre des frênes, mais en plus les bêtes avaient du pacager récemment car tout était brouté ras… à part les touffes de chardon-marie protégées par leurs piquants (Axel se rappelait que quand il était gamin et que les jeudis se passaient à jouer dans les prés avec les enfants du village, ils les appelaient des « clouques »…) l’inconvénient était l’extrême abondance des déjections avec mouches et odeurs !
Il alluma le Déus et commença par le coin à l’ombre des arbres car le soleil était très chaud. Le tas de pierres devait être là depuis très longtemps car beaucoup avaient roulé dans le champ et étaient prises sous les racines des frênes. Il eut quelques sons de ferreux, déterra deux isolateurs de clôture en plastique noir avec l’attache faite d’un morceau de fil électrique gainé de bleu, puis une pièce trouée des années 20 très abimée et un bouton de cuivre d’uniforme, sûrement d’un garde chasse car il n’avait aucun marquage, juste une étoile à cinq branches (à moins que l’Armée Rouge soit venue en manœuvre dans le secteur !). Il fit soigneusement les abords du tas de pierres grises et blanches et commença à balayer en s’approchant des frênes qui bordaient le champ, mais renonça très vite : les randonneurs devaient pique-niquer à l’ombre en s’appuyant aux troncs car il y avait des papiers d’alu et des tirettes de cannettes partout. Il s’éloigna de la haie en revenant vers l’intérieur du champ et commença à chercher en évitant les pieds de cardères et de gaillets jaunes, et quelques touffes d’orties qui commençaient à s’installer. Il prospecta ainsi un long moment, sans aucun son. Il finit par arriver au bout du pré, clôturé par trois fils barbelés cloués aux troncs des chênes et des frênes qui le fermaient de ce côté. Il suivit la clôture vers la gauche pour prendre l’autre bord, et revenir vers le tas de pierres. De nouveau, aucun son pendant un long moment, pratiquement jusqu’à l’autre bout.
Quand il arriva à la hauteur du tas d’épierrement, il lui sembla distinguer dans l’herbe les traces d’un ancien chemin qui coupait le champ en travers et se dirigeait vers la forêt. Deux ornières parallèles avaient été empierrées et la terre avait fini par les recouvrir, mais l’herbe y était rase et on pouvait en suivre le tracé. Axel les suivit en balayant jusqu’à l’endroit où elles passaient sous la clôture.
Il aperçut sous les arbres de la forêt, un nouveau tas de pierres, envahi de ronces et de houx fragons.Il éteignit sa machine et le casque, franchit la clôture en montant sur chaque rang de barbelés et en se tenant aux branches, et se retrouva sous les arbres. C’était de vieux chênes, énormes, avec de grosses branches noires et moussues, presque verticales. Axel s’étonna de voir que le sol, dessous, était propre : une herbe rare et courte, des brindilles, un tapis de glands qui craquaient sous les pieds. Il comprit très vite : toute une épaisseur de pierres apparaissait sous les feuilles mortes. Il y en avait même de grands tas vaguement ronds, hauts de plus d’un mètre, couverts de lierre.
L’adrénaline commença à lui monter. « Ce n’est pas possible, se dit-il, ils n’ont quand même pas entassé ici les cailloux de tous les champs des environs… il devait bien y avoir des habitats ou des granges, pour qu’il y en ait tant… » Il continua à découvrir l’endroit, compta cinq gros tas de pierres alignés, séparés d’une dizaine de mètres, et plusieurs petits tas irréguliers… et toujours un tapis d’éclats de roches blanches sous les feuilles ou le lierre. Au bout, après le dernier gros tas, le plateau finissait avec un dernier chêne, et un sentier de sauvagine descendait la pente abrupte entre les buis et les ronces qui reprenaient possession du terrain. La vue était magnifique. Axel pensa que c’était un observatoire idéal. Il revint jusqu’à la clôture, posa son sac, remplaça la tête de 28 par celle de 22, plus facile à passer entre les pierres dépassant du sol, régla le Déus et commença à prospecter. Il eut tout de suite des sons de ferreux : il creusa pour identifier quel genre de ferraille pouvait pousser en cet endroit, et fut rassuré : des clous tordus, des bouts de tiges ou de crochets, un anneau de fer, un piton, un fer à bœuf… Il se dit qu’il en savait assez, et en termina avec les ferreux. … La suite dans Monnaies & Détections n° 86